© Benoit Deville 2000_2024
Benoit Deville

Vos avis

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Litanie est un texte à la fois déroutant et agaçant. Déroutant parce qu’il est difficile, durant plusieurs chapitres, d’y trouver des repères, difficile d’identifier quelque référent à quoi l’on puisse s’accrocher pour produire un sens que l’on trouverait cohérent (selon nos traditionnels critères de lecture). Il est vrai que nous n’avons pas les clefs de ce genre nouveau que Benoît Deville appelle le « proman ». L’une de ses premières caractéristiques serait justement pour moi l’incertitude de son référent quoi renvoient ces mots, ces phrases, à quelle expérience que nous pourrions partager ?), une sorte de référent flottant. A quoi contribue beaucoup l’hypostasie de la plupart des sentiments ou émotions qui se voient dotés systématiquement d’une majuscule en faisant des sortes d’entités abstraites, un peu à la manière d’une Carte du Tendre (mais une Carte du Tendre inversée, cynique et désespérée). Cela relève d’une forme de Préciosité, mais ici de Préciosité noire, infernale. Agaçant parce qu’on est sans cesse partagé entre l’envie d’abandonner et la nécessité de poursuivre la lecture ; et que cela met mal à l’aise. Car ce texte peut paraître quelquefois trop fabriqué, donner l’impression que l’auteur en rajoute (et il accumule en effet les signes de ponctuation expressifs, le vocabulaire le plus cru ou violent, toutes les ressources de la typographie - italiques, pronoms en gras -, crée un rythme par la brièveté de phrases nominales et le recours à la parataxe, par le ton vaticinateur). Mais en même temps on y perçoit la force d’un souffle, une puissance d’expression qui ne peuvent pas être inauthentiques et l’on continue sa lecture tout en plaignant le narrateur s’il exprime vraiment le plus profond de son désespoir d’être. C’est peut-être en effet de cela qu’il s’agit : du désespoir d’être au monde, ou plutôt d’avoir été mis au monde par cette Mère dont on n’a jamais pu supporter d’être séparé. Autrement dit : on croit le comprendre peu à peu : il s’agirait du déchirant traumatisme de la naissance. Un traumatisme dont le narrateur ne s’est jamais remis et qu’il tente désespérément d’effacer par un délire de régression intra-utérine et incestueuse. Un narrateur, donc, qui n’est jamais devenu adulte et que caractérise parfaitement cette formule de la page 64 qui me paraît condenser l’essentiel de cette œuvre : « Et l’immature se serre contre le ventre chaleureux ». Mais si l’on ne veut pas rester sur cette interprétation psycho-pathologique peut-être trop réductrice, on pourra trouver aussi à ce roman une portée universelle, à propos de la difficulté d’être, de ce que Pavese appelait « Le métier de vivre ». « Roman » n’est d’ailleurs peut- être pas le terme adéquat : il s’agirait plutôt d’un (très long !) poème en prose qu’il faudrait lire à haute voix pour en apprécier pleinement la puissance et le rythme. Dans le doute, entre adhésion et rejet, on ne peut qu’inciter les lecteurs à y aller voir par eux- mêmes. Une seule certitude : Litanie ne laisse pas indifférent. Dans l’ensemble de la production littéraire diffusée sur le Net, ce n’est pas si fréquent. Georges-André QUINIOU , le samedi 30 avril 2011